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Lorsqu'une PME française veut recruter en Chine...
Dernière mise à jour : 20 nov. 2020
Une industrie familiale fondée dans les années 1860 dans un village de l’Ouest de la France vient de nous confier une mission de Business Development. Pour commencer il veut recruter en Chine un Consultant Technique spécialisé en gestion de production. Avec le client nous décidons de chercher un candidat techniquement solide, capable de réaliser de multiples tâches :
Comprendre et analyser les besoins des prospects
Rédiger les cahiers des charges ainsi que les offres commerciales
Prendre en charge tout le support technique : installation, câblage, paramétrage, formation des opérateurs, et enfin le support après-vente.
Premiers entretiens
Nous terminons la phase d'approche et il en résulte une douzaine de bons candidats que le Responsable Commercial Export viendra rencontrer lors des premiers entretiens. D'habitude je préfère mener seul les premiers entretiens car la différence de culture est trop grande et le marché de l'emploi en Chine est bien différent de celui de la France. Je lui ai pourtant expliquer gentiment que recruter en Chine nécessite une approche différente mais il ne veut rien savoir.
Cela dit, j'ai demandé au Responsable Export de me laisser mener les discussions durant le premier quart d’heure. Mon but est d’établir une relation de confiance avec les candidats car nous sommes en position de faiblesse. Les candidats sont tous des profils très qualifiés. Ils sont plus enclin à faire carrière dans une grande entreprise internationale plutôt que de démarrer les opérations chinoises d'une ETI française perdue dans un village de 3000 habitants et totalement inconnue en Chine. Il faut prendre le temps de parler de tout et de rien, plaisanter un peu autour d’un verre d’eau chaude. Bref, gagner la confiance du candidat en respectant les valeurs de son pays. Du tac au tac il me répondit : "Faites juste la phrase d'introduction et laissez moi faire car vous ne connaissez ni notre métier ni nos produits". J'ai l'impression de revivre l'affaire GOME... La suite des événements m'inquiète.
Mettre les candidats en difficulté
A peine assis, les candidats subissent un flot de questions techniques qui ressemblent plus à une recherche du détail qui les mettra en difficulté. Dans le village de notre client il est certainement facile de malmener les candidats puisqu'il y a très peu de travail dans un rayon de 80 KM. Ils n'ont pas le choix. Il n'a pas compris que le marché de l'emploi en Chine est en pleine effervescence emploi ça ne marche pas ! Les candidats étaient tous surpris de leur entretien.
D'abord par la tenue vestimentaire du Responsable Export. Certes il portait un costume mais pour se démarquer il ne s'était pas rasé et s'emmitouflait dans un grand kéfié pour faire genre baroudeur de l'export qui n'a pas le temps de se raser. Que ce soit avec des prospects, clients, partenaires, employés, il est nécessaire de rester simple et humble. Les signes extravagants sont mal ressentis par les Chinois car ils sont perçus comme des signes voulant marquer une supériorité.
Ensuite ses questions techniques n'avaient pas de sens. Elles portaient sur des mots et des sigles lâchés à la volée, du style "savez vous ce que veut dire..." plutôt que sur les compétences ou le savoir-faire.
Enfin, sa prononciation de l'Anglais était incompréhensible. Pour exemple, prononcez à la française et à l'anglaise la marque la plus connue en gestion de production, SAP. Vous entendez la différence ? Les candidats ne comprenaient pas et ne pouvaient pas répondre. Par politesse ils n'osaient pas demander au Responsable Export de répéter sa question.
Une minorité de candidats ont perdu la face, à la grande satisfaction de notre Responsable Export. Il avait gagné et à chaque fois me disait : "Je l'ai bien mis sous pression, vous allez voir, nous pourrons le prendre à nos conditions".
Challengé par les candidats
Tous les candidats étaient des profils forts, niveau ingénieur avec 8 à 15 ans d'expérience professionnelle. Une majorité ne s'est pas laissée abattre. Une fois que le Responsable Export avait fini ses questions stupides, ils en ont posé à leurs tours des questions, intelligentes et embarrassantes : Quelle est la stratégie de votre entreprise, quel est son objectif en Chine, quels sont les investissements prévus, quel est le plan de marketing, quelles sont les évolutions de carrière prévues, combien de personnes vont être recrutées, quels sont vos avantages par rapport à la concurrence, quelles sont les salaires, etc.
Au bout d'une demi douzaine de candidats le Directeur Export avait perdu confiance. Il était même choqué car il ne s’attendait pas à être challengé par les candidats. Il était surtout embarrassé car il devait rendre compte au Directeur Général qui déteste profondément être challengé. Je le connais pour l'avoir rencontré deux fois lors de réunions avec le PDG et les autres directeurs concernés par la Chine. Les deux fois régnait une ambiance pesante. Par exemple, durant chacune des réunions, le P-DG (4ème génération) appelait ses collaborateurs par leurs prénoms. Par contre, les collaborateurs l'appelaient par son nom de famille précédé d’un « Monsieur ». De plus, chacun ne pouvait prendre la parole que sur invitation du P-D.G. Ce respect de la hiérarchie était encore plus fort qu’en Chine !
Casser sa tirelire
J'ai rappelé les candidats interviewés et je n'ai eu que des réponses négatives. Un seul était éventuellement intéressé par prendre le job mais il a fait monter les enchères. N'ayant pas le choix, notre client a cassé sa tirelire pour le recruter. Il s’agissait d’un ingénieur de 38 ans avec dix ans d’expérience professionnelle. Plus tard il m'avouera qu'il n'avait aucune confiance dans le projet de notre client. Il avait accepté le job « pour voir », et sans risque puisqu'il avait fait augmenté son salaire de 25%.
Pas besoin d'être un expert pour savoir que ce recrutement est une grave erreur qui se répercutera sur la suite de la mission, la recherche de distributeurs. Comme dans tous les pays, lorsqu'un candidat n'adhère pas au projet et rejoint l'entreprise uniquement pour le salaire, il est impossible de construire quoi que ce soit. Recruter en Chine est pourtant facile, il suffit de rester naturel, honnête, et de respecter les candidats.